Liberté de religion et obligation de neutralité

par Aurélie ARNAUD - Cabinet 2A avocat
Avocat en droit du travail Paris 8

Liberté de religion et obligation de neutralité

Le licenciement de la salariée ayant refusé d’ôter son voile à la demande d’un client est annulé en l’absence d’une obligation de neutralité prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise.

CA Versailles 18-4-2019 n° 18/02189, B. c/ Sté Micropole

1) Rappel des règles:

Aux termes de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme, toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. La distinction opérée entre les salariés en raison de leurs convictions religieuses constitue une discrimination prohibée par le Code du travail. Toutefois, l’employeur peut, en application de l’article L1121-1 du Code du travail, apporter des restrictions à cette liberté dès lors que celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (Cass. Ass. plén. 25 juin 2014 n°13-28369 n°612 PBRI, X c/ Association Baby-Loup).

Saisie par des employeurs s’interrogeant sur la légalité de l’insertion dans leur règlement intérieur d’une disposition visant à réglementer le port de signes religieux et politiques par les salariés, la Halde (remplacée aujourd’hui par le Défenseur des droits) a également dans une délibération 2009-117 du 6 avril 2009, la possibilité d’inscrire dans le règlement intérieur de la Société des restrictions à la liberté de religion ou de conviction, sous réserve du respect des dispositions de l’article L 1121-1 du Code du travail.

Une clause relative au principe de neutralité est encadrée par la loi (loi 2016-1088 du 8 août 2016 art 2).

Il résulte des arrêts de la CJUE (CJUE 14 mars 2017 aff 157/15 et 188/15) et de la Cour de cassation (Cass. Ass plén. 25 juin 2014 n°13-28369 précité) qu’une règle interne peut imposer aux salariés une obligation de neutralité générale leur interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux, à condition :

– d’être prévue dans le règlement intérieur ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que celui-ci ;

– d’être générale et indifférenciée ;

– de n’être appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.

Dans cette hypothèse, une telle obligation ne constitue pas une discrimination directe.

2) Dans l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 18 avril 2019 (n° 18/02189, B. c/ Sté Micropole):

Saisie du renvoi après cassation dans l’affaire concernant le licenciement d’une salariée en contact avec la clientèle qui avait refusé d’ôter son voile, la cour d’appel de Versailles se conforme aux enseignements de la CJUE et de la Cour de cassation et annule le licenciement jugé discriminatoire.

La Cour de cassation, après avoir interrogé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 14-3-2017 aff. 188/15), a censuré l’arrêt de la cour d’appel de Paris (CA Paris 18-4-2013 no 11-05892) au motif que, faute d’obligation de neutralité prévue dans le règlement intérieur, le licenciement d’une salariée motivé par son refus d’ôter son voile lors de ses contacts avec la clientèle est discriminatoire (Cass. soc. 22-11-2017 no 13-19.855 FS-PBRI).

L’affaire a donc été renvoyée devant la Cour d’appel de Versailles dont l’arrêt a été rendu le 18 avril 2019. Sans surprise, elle annule le licenciement jugé discriminatoire, en appliquant les enseignements dégagés par la CJUE et la Cour de cassation.

Les juges ont examiné en détail s’il existait une règle interne à l’entreprise prévoyant une obligation de neutralité des salariés dans l’expression de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses, susceptible de justifier la demande de l’employeur.

Dans la présente affaire, l’employeur faisait valoir qu’il existait bien dans l’entreprise une telle obligation de neutralité, sous forme de règle non écrite.

La Cour d’appel indique qu’une telle règle ne remplit pas les conditions posées par la jurisprudence, car elle doit être inscrite dans le règlement intérieur.

En outre, l’employeur n’allègue qu’une obligation de neutralité au regard de l’expression des convictions religieuses. Or, précisent les juges versaillais, même si la règle invoquée ne fait aucune distinction entre les différentes confessions, croyances ou pratiques religieuses, une règle ayant pour seul objet d’encadrer le fait religieux n’opère pas de traitement identique de tous les travailleurs de l’entreprise en leur imposant, de manière générale et indifférenciée, notamment une neutralité vestimentaire s’opposant au port de signes visibles de convictions philosophiques, politiques ou religieuse. Une telle règle constitue donc une discrimination directe fondée sur la religion.

A notre avis: Les entreprises désirant prévoir une obligation de neutralité dans leur règlement intérieur devront veiller à la rédaction de la clause qui ne devra pas viser que l’expression des convictions religieuses mais également les convictions politiques et philosophiques pour remplir la condition de généralité.

Enfin, dans cette affaire, l’employeur ne justifie ni de l’existence de la règle non écrite qu’il invoque, ni du fait qu’elle ait été opposée à d’autres salariés. L’interdiction du port de signe religieux résultait seulement d’un ordre oral adressé à une seule salariée et visant un signe religieux déterminé. En conséquence, force est de constater l’absence de règle interne de neutralité remplissant les conditions requises.

En l’absence de règle de neutralité interne, seule une exigence professionnelle essentielle et déterminante peut légitimer une interdiction du port de signes religieux. Or, comme l’a indiqué la CJUE, la volonté de l’employeur de tenir compte du souhait d’un client de ne pas voir de voile ne saurait en aucun cas constituer une telle exigence.

Le licenciement de la salariée motivé par l’expression de ses convictions religieuses est donc annulé en raison de son caractère discriminatoire.

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